ProtestInfo, 25 avril 2005 - Silvia Mancini annonce la couleur : savoir si Dieu existe ou non ne l'intéresse pas. Elle revendique son agnosticisme et insiste sur l'approche purement laïque et historico- comparative des religions qu'elle enseigne, ce qui permet de prendre de la distance, de mettre les religions en perspective.
Elle précise: "Par honnêteté intellectuelle, il faut toujours dire d'où l'on parle, dans quel contexte on se situe pour permettre à ses interlocuteurs de saisir les enjeux de votre discours et le relativiser. Il est capital d'assumer la responsabilité de ses postures théoriques, les expliciter et les argumenter." Pour l'historienne, la confrontation dialectique a toute son importance, elle permet d'avancer, de grandir, de mieux se définir.
L'historienne italienne a suivi à Rome une double formation en anthropologie et en histoire des religions, pour chercher à savoir pourquoi l'homme a eu besoin d'élaborer des dieux, des mythes et des rites et comment ils l'ont aidé à supporter la précarité de sa condition existentielle.
Nommée ce printemps professeure associée en histoire comparée des religions à la Faculté de théologie de Lausanne, elle y enseigne deux spécialités : l'épistémologie des sciences des religions et l'étude des traditions religieuses marginalisées - au carrefour du folklore européen, de la magie, de la divination, du chamanisme extraeuropéens - mais aussi l'histoire des courants ésotériques modernes, qui cherchent à réconcilier le corps et l'esprit, la nature et le divin.
Elle a consacré sa thèse de doctorat à la littérature orale antillaise dans le cadre de la veillée funéraire chez les descendants des esclaves noirs. Ses recherches portent, entre autres, sur les relations entre certaines manifestations du psychisme humain (états de dissociations de la personnalité, transe, états hypnotiques) et les formes culturelles relevant de la vie magico-religieuse.
"J'étudie les pratiques rituelles qui caractérisent des sociétés extra-européennes, qu'on appelait autrefois civilisations primitives, mais aussi les pratiques propres aux milieux ruraux européens, comme par exemple les cultes à possession et les formes d'exorcisme extra-canonique du catholicisme populaire, comme le tarentisme, encore en vigueur dans les années 50 dans le sud de l'Italie et qui procédait à guérir les personnes envoûtées par la danse et la musique. Je m'intéresse également aux courants ésotériques occidentaux, dont le New Age est l'héritier, qui depuis la Renaissance cherchent à établir des passerelles entre la théologie, la philosophie et les savoirs portants sur la nature. Cette dernière a été la grande oubliée des théologies dès la fin du Moyen-Age."
En Suisse, la chercheuse a été frappée de voir comment la société a intégré cette culture holistique, impensable en France où elle a également enseigné. Elle cherche à comprendre comment certains dispositifs symboliques (tels que les mythes et rites) fonctionnent, comment ils permettent, notamment par l'emploi de techniques rituelles visant la modification de la conscience, de redonner une posture meilleure à l'homme, comment ils les l'aident à donner sens aux impondérables de la vie, à tout ce qu'il ne peut contrôler (mais aussi à corriger des dysfonctionnements psychiques et physiologiques).
Silvia Mancini rappelle que les grilles de compréhension occidentales s'appliquent difficilement aux pratiques extra-européennes: "Prenons un exemple, le rapport des hommes à la mort. En Afrique, mais plus généralement dans la plupart des cultures traditionnelles, la mort fait partie de la vie. Ce qui compte, ce n'est pas l'individu singulier et son destin eschatologique, mais la continuité du groupe et du lignage. Le salut de l'individu est lié à sa descendance et au statut social qu'on transmet. On survit à travers ses descendants. En Occident, la conception individualiste de l'homme est si forte, qu'il nous est presque insupportable d'imaginer disparaître."
A observer un retour du religieux, et à mettre en perspective les religions, peut-on penser que l'homme est intrinsèquement religieux? La chercheuse se refuse à avancer ce postulat tant que rien ne permet de le prouver ni scientifiquement ni historiquement.
Nicole Métral
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