Dans un silence imposant, le numéro un de la junte au pouvoir, le général Than Shwe, dont les apparitions en public sont peu fréquentes et qui, pour l'occasion, avait troqué son uniforme kaki pour la tunique blanche et le longyi traditionnel, est venu pendant quelques minutes s'incliner devant les hauts dignitaires bouddhistes et saluer les rares hauts responsables étrangers honorant le sommet birman de leur présence. Le Premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra avait fait le déplacement, un geste jugé par les analystes comme un beau cadeau de Bangkok à la junte.
Pour un sommet, dont la préparation a été entourée de polémiques et d'appels au boycottage motivés notamment par le non-respect par le régime birman des droits de l'homme, la participation semblait nettement inférieure aux 2.500 délégués annoncés initialement. Il semble que seuls quelque 500 moines et un millier de délégués birmans et étrangers se sont retrouvés pour les trois jours qu'a duré le sommet. Les gradins du centre de conférence rénové pour l'occasion étaient colorés des robes grises de moines de Corée du Sud, orange de ceux du Cambodge, brique foncée de ceux d'Inde ou de Mongolie, safran de ceux de Thaïlande ou rose pâle des nonnes birmanes. Seuls quelques moines de pays occidentaux étaient présents. On comptait des représentants du clergé bouddhiste de dix-sept pays - douze Asiatiques ainsi que des Australiens, des Américains, des Mexicains, des Tchèques et des Roumains.
Selon le témoignage de moines birmans et de diplomates occidentaux recueillis à Rangoun par l'AFP, l'appui apporté par les généraux birmans à ce sommet souligne à quel point le bouddhisme, auquel adhère la très grande majorité des 53 millions d'habitants du pays, est un instrument de propagande politique majeur pour le régime militaire. En Birmanie où le bouddhisme Theravada est pratiqué par 85 % de la population, les généraux apparaissent fréquemment photographiés dans la presse officielle s'inclinant devant des moines importants ou faisant de généreuses offrandes à des « payas les pagodes. Pour les cérémonies de khatain qui viennent de marquer la fin du jeûne bouddhiste, des bataillons de ministres et de hauts gradés ont défilé dans les monastères où ils ont été photographiés pieds nus, agenouillés devant des moines, offrant les robes traditionnelles couleur safran.
"C'est très clair, il y a une exploitation du bouddhisme à des fins politiques", estime un diplomate. Mais si les moines bouddhistes étaient descendus dans la rue en 1988 avec les étudiants pour réclamer une démocratisation et avaient payé un lourd tribut après la répression dans le sang des manifestations, ils paraissent aujourd'hui sagement confinés dans leurs monastères. "Ils sont totalement contrôlés. Ils sont obligés d'être du côté du régime", note le diplomate. "Quand Aung San Suu Kyi pouvait aller en province, certains responsables de temples ont refusé de la recevoir" par peur d'être harcelés par les services secrets militaires, dit-il, en référence à la brève période de liberté de l'opposante, aujourd'hui de nouveau assignée à résidence.
Le clergé, les moines et les nonnes, ne jouent pas un rôle social actif en Birmanie, et se consacrent essentiellement à l'étude des textes sacrés et à la méditation dans leurs monastères. "On leur fait surtout beaucoup de cadeaux pour les inciter à rester calmes et ne pas faire de politique: de l'argent, des voitures", explique un analyste. "Le clergé bouddhique a été complètement acheté." Ceux des moines qui osent toutefois critiquer le régime se retrouvent systématiquement en prison où ils sont généralement immédiatement défroqués. Dans l'un des 400 monastères que compte Rangoun, le supérieur témoigne sous le sceau de l'anonymat: "Ils sont défroqués, portent la tenue des prisonniers et n'ont plus le droit de réciter les prières. Beaucoup ont été condamnés à des peines de quinze à vingt ans de prison pour avoir refusé des offrandes de nourriture de représentants du gouvernement." Il ajoute: "Nous n'avons pas le droit d'exprimer notre opinion, de parler ouvertement aux gens. Il y a des pressions sur nous." Selon une association clandestine de moines, poursuit-il, de 350 à 400 d'entre eux croupissent dans les geôles birmanes. "Les moines à Rangoun n'ont aucun intérêt pour ce sommet bouddhiste: il n'est pas sincère, il est organisé pour le bénéfice politique du gouvernement", conclut-il.
Le sommet s'est terminé le 11 décembre. Dans son discours de clôture, le vénérable Silananda, recteur de l'Université internationale des missionnaires du bouddhisme Theravada à Rangoun, a réclamé un accès à Internet pour les bouddhistes de Birmanie. "Nous sommes reconnaissants au gouvernement de nous avoir autorisé à utiliser Internet et, sans cela, le sommet ne se serait pas aussi bien passé. J'espère qu'à l'avenir, le gouvernement nous laissera utiliser Internet pour propager les enseignements bouddhistes dans le monde", a-t-il déclaré.
Cet article a été publié dans le N° 409 (16 décembre 2004) d’Eglises d’Asie, Agence d’Information des Missions Etrangères de Paris (128 rue du Bac, 75341 Paris Cedex 07).
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